À l’approche d’Halloween, nous vous offrons non pas de l’horreur mais une dose de Science fiction. Une illustration et un texte offert par le Groupe Politique & Territoires de Fructôse dans le cadre de leur réflexion sur l’ancrage de l’association
Journal de bord – Base M0U3TT
Jour 5432 – 09h47
Comme chaque matin, l’équipage et moi-même avons ingurgité notre dose quotidienne de fructôse. Contraints par l’atmosphère nauséabonde d’un climat anxiogène, nous continuons coûte que coûte notre exploration des abords de la base et cet apport nutritif est devenu un élément essentiel de notre routine. Il vient compléter les comprimés d’iode que l’autorité locale, installée dans un imposant bâtiment à quelques battements d’ailes, nous fournit gracieusement. Nous avons rapidement compris que notre survie dépendait du soutien et de la reconnaissance de ce pouvoir. Nous avons très vite noué des liens étroits avec certains autochtones, notamment quelques communautés avec lesquelles nous nous sommes trouvés des points communs.
Les Esardiens sont jeunes et fougueux, leur espace de partage et de formation est devenu un repère pour certains d’entre nous, qui vont y transmettre leur savoir-faire mais aussi débaucher de nouvelles recrues pour grossir les rangs de notre équipage.
Les Emapiens sont leurs cousins. Plus jeunes encore, nous tentons des approches plus ludiques pour attirer leurs jeunes esprits et semer les graines de la révolution.
Les Fraqueux sont installés dans une immense maison aux parois translucides, près de la grande mer. Détenteurs de la mémoire de civilisations désormais disparues, nous échangeons denrées non- périssables, compétences pratiques et univers imaginaires contre des espaces d’expérimentation et des interactions sociales au sein d’une élite intellectuelle.
Enfin, les Laac’nar ont investi un vaisseau abandonné au milieu d’un jardin peuplé d’étranges créatures avec qui ils cohabitent paisiblement. Nous leur rendons souvent visite, en apportant des offrandes comme symboles de notre amitié, pour nous ressourcer et certains d’entre nous ont trouvé en ce lieu mystique un refuge spirituel où renouer avec une espèce de foi en l’humanité.
Plus récemment, et aussi plus éloignée géographiquement, nous avons commencé à correspondre avec une entité, ayant eu vent de nos missions d’exploration, qui a souhaité faire appel à certains membres de l’équipage pour des expéditions de repérages. Nos éclaireurs ont investigué des lieux abandonnés depuis des lustres et ont bénéficié des connaissances du territoire de cette organisation, qui se fait connaître sous le nom de CIAC – Centre d’Investigation des Alentours et Contrées.
Une communauté nomade est également venue nous rencontrer, de passage sur notre port d’attache. Se dirigeant à 50° au Nord, nous avons offert l’hospitalité à ses représentants, et nous avons échangé nos coordonnées satellites, convenant de rendez-vous réguliers lors de leur passage sur notre zone.
Nous continuons la cartographie du territoire et le repérage des initiatives avec lesquelles nous pouvons collaborer afin de poursuivre les objectifs que cette mission s’est fixée : rien de moins que sauver l’espèce humaine de sa propre déchéance. Un manoir de l’Ancienne Epoque, situé à quelques encablures de notre base, entouré de marécages sauvages où quelques irréductibles idéalistes s’échinent à faire germer de nouveau fleurs et semences, semble partager cet objectif. Le maître des lieux est devenu membre actif de notre instance de pilotage. Nous avons tissé des relations avec d’autres groupuscules ambulants aux revendications similaires, nous les croisons ici et là, agitateurs de places publiques aux frontières indéfinies, à qui nous avons désormais pris l’habitude de faire un clin d’oeil complice, convaincus que nous partageons un acharnement à ratisser l’espace.
Lors de nos nombreuses sorties de reconnaissance, nous ne manquons jamais une occasion de nous intégrer, de prendre part aux us et coutumes locaux et de goûter aux spécialités sans cesse réinventées, qui ne sont pas sans nous rappeler des plaisirs auxquels nous pensions devoir renoncer à jamais. Le District 6-A-L, tout proche de la base, appelée affectueusement « Citadelle » par l’équipage, est devenu synonyme de convivialité et de franche camaraderie, où nous nous remémorons pour quelques heures que les liens qui nous unissent au sein de la base ne sont qu’une partie de la complicité qui nous rassemble autour d’une mousse.
Nous avons évidemment à coeur de conserver une trace de nos recherches et missions d’explorations. Grâce à nos collaborations avec la congrégation des baliseurs, nous pouvons bénéficier notamment d’ouvrages précieux qui alimentent nos cartographies et nos imaginaires. Avec le temps, tout le monde a pu trouver son moyen de se vider la tête, de créer des passerelles avec les autres équipages et d’entretenir son attachement à ce territoire qui est devenu notre chez- nous : que ce soit à travers une pirouette à roulettes à l’aire de glisse, une séance de fitness-disco sur tapis roulant à la plage ou en concevant des outils ultra-modernes issus des technologies dernier cri en laboratoire.
Je repense avec émotion à notre première base, voisine de celle-ci, désormais organisée autour d’un nouvel équipage, mais avec qui nous avons gardé le lien, s’échine à rechercher les solutions édulcorées d’un futur désirable sur ce port inondé, et où, déjà, nous imaginions des terreaux fertiles pour nous épanouir. Les jours ont passé, notre conviction est intacte. Cette base restera effervescente, au moins jusqu’à ce que l’eau la recouvre entièrement.